Gladys AMBORT – Docteur ès lettres de l’Université de Genève, écrivain, traductrice. 29 janvier 2014 – 26 participants. Trois années d’enfermement dans les prisons argentines de 1975 à 1978 : arrêtée à 17 ans pour ses idées politiques.
Du 27 mai 1975 au 8 janvier 1978, Gladys Ambort fut incarcérée dans les prisons argentines. Agée de 17 ans, elle avait été arrêtée pour avoir exprimé des positions politiques opposées au pouvoir. Libérée et expulsée d’Argentine sous la pression de la France, elle donna à son arrivée à Paris une conférence de presse aux côtés de Simone de Beauvoir. Mais quelque chose s’était irrémédiablement brisé chez cette toute jeune femme des suites de ses tribulations au cœur d’un système répressif particulièrement cruel. Après 30 ans d’existence dans plusieurs pays dont la France, le Mexique et la Suisse, Gladys Ambort retrace dans ce livre ses trois années d’enfermement afin de comprendre la déstructuration dont elle fut victime. Son témoignage précis et circonstancié sur les diverses étapes de son enfer permet d’entrer au cœur d’une logique répressive qui atteint son but quand elle a détruit l’intimité d’un être. Docteur ès lettres de l’Université de Genève, ayant travaillé sur la nature du pouvoir, Gladys Ambort fait vivre de l’intérieur les terribles effets d’une incarcération injuste et perverse. Un témoignage décisif sur la prison et la nature humaine.
Nous avons été très touchés par le récit de Gladys, par son témoignage. Sa souffrance et son traumatisme sont encore visibles aujourd’hui et c’est avec beaucoup de courage qu’elle a témoigné et répondu à nos questions. Nous l’en remercions infiniment.
Notre propre émotion nous a empêchés de prendre des notes car les paroles étaient trop précieuses pour en manquer une seule. Aussi, nous vous conseillons de lire son livre – Brisée … De la fin de mon adolescence dans une cellule d’isolement – édité chez Labor et Fides.
Nous vous faisons cadeau de la préface de Fernando Solanas écrite en Janvier 2010 à Buenos Aires.
Si le récit de Glaqys Ambort, emprisonnée à l’âge de 17 ans dans les geôles argentines entre 1975 et 1978, contribue au travail de Mémoires que l’Argentine est en train de faire pour soigner les profondes blessures de son passé récent et construire un avenir vraiment démocratique, il a plus largement une dimension qui nous interpelle tous. Son expérience touche à l’universel parce qu’elle s’inscrit fondamentalement dans la catégorie des douleurs infligées par l’oppression qui fait fi du progrès et de l’émancipation.
L’histoire que nous livre ce récit aurait pu, en effet, avoir lieu n’importe où et n’importe quand. C’est l’histoire de la transformation d’une adolescente plein de vie et d’idéaux, sensible au monde qui l’entoure et habitée par des intérêts multiples, en une femme avec une profonde brisure dans l’âme et dans le corps, occasionnée
Par l’infamie de ceux qui, par un moyen ou par un autre, pratiquent la destruction systématique de l’autre.
Comme Gladys Ambort le dit à maintes reprises, quelque chose s’est brisée en elle. Une dimension de son être a disparu de sa personnalité dans des tréfonds qu’elle ne réussit pas à sonder totalement. Dans son livre, elle explique que son anéantissement a été provoqué par la solitude éprouvée pendant deux petites semaines à l’intérieur d’une cellule d’isolement.
Elle raconte comment elle a touché le fond du fond, celui qu’inconsciemment l’on redoute tous, ce moment où on est tellement seul qu’il n’est plus possible d’envisager une discussion avec soi-même, de s’imaginer en vis-à-vis de ses propres paroles, privé de cet exercice de sauvetage intérieur où, sans contact avec d’autres, on maintient un dialogue imaginaire avec soi pour préserver une dimension sociale sans laquelle l’être humain perd définitivement son identité.
Voilà ce que raconte Gladys Ambort. Pour faire mieux comprendre la brisure fondamentale, elle fait le récit avec moult détails, de ce qui l’a précédée, les conditions de son arrestation, ses tribulations d’une prison à l’autre, ses activités quotidiennes, ses relations avec ses codétenues, sa famille, ses peurs, mais aussi souvent ses joies, tout un univers habité, malgré les difficultés, par les relations sociales, la confrontation, le sentiment d’exister, même négativement, dans le regard des autres. Jusqu’à l’épisode fondamental où l’on existe plus à ses propres yeux.
Gladys AMBORT, en prenant à témoin le lecteur, l’invite à mesurer le drame de la vraie solitude, et, ce faisant, lui fait comprendre qu’exister n’est possible que grâce aux autres, dans le dialogue, même secret, même anonyme, avec la communauté humaine. C’est une leçon qui s’adresse bien entendu à tous ceux qui enferment, incarcèrent ou torturent dans des prisons réelles ou symboliques, mais c’est aussi, plus largement, un rappel à s’ouvrir constamment aux autres pour préserver la dignité humaine. C’est dans ce sens que le témoignage de Gladys AMBORT touche à l’universel.
Trente ans après sa libération, son récit jaillit mot à mot des tréfonds de son être, narré avec la lucidité propre d’un être qui a su se reconstruire. Mais sa voix n’est pas seule. On y entend aussi celle de beaucoup d’autres jeunes de sa génération que « les fossoyeurs de la vie et détracteurs de la diversité » voulurent faire taire pour toujours.
Fernando SOLANA est réalisateur cinématographique – Tango, L’exil de Gardel, Sud – Il joue un rôle proéminent sur la scène politique argentine.
« La liberté, Sancho, est un des dons les plus précieux que les cieux donnèrent aux hommes ; ni les trésors que renferme la terre ni ceux que couvre la mer ne peuvent l’égaler ; pour la liberté, de même que pour l’homme, on peut et on doit risquer la vie, et au contraire, la captivité est le plus grand mal qui puisse venir aux hommes ».
Miguel de Cervantès Don Quichotte de la Manche
« Que l’on imagine maintenant un homme privé non seulement des êtres qu’il aime, mais de sa maison, de ses habitudes, de ses vêtements, de tout enfin, littéralement de tout ce qu’il possède : ce sera un homme, réduit à la souffrance et aux besoins, dénué de tout discernement, oublieux de toute dignité : car il n’est pas rare, quand on a tout perdu, de se perdre soi-même »
Primo Levi Si c’est un homme