Marco Polo (1254-1324), marchand vénitien, emblème du voyageur de l’extrême (extrême-Orient, bien sûr, mais aussi aventure extrême !) est aussi une des grandes personnalités d’une époque charnière : le XIIIème siècle qui peut-être vu comme le début de notre modernité : fin des croisades, sortie de l’âge féodal, naissance des villes, des universités. Le devisement du monde, authentique tour du monde médiéval, qui continue de fasciner les lecteurs d’aujourd’hui, ne peut cependant se lire tout à fait comme le journal d’un explorateur moderne. Certes, son héros a vécu une aventure personnelle qui contribue en son temps à une connaissance précise et exacte des régions parcourues et qui répond – comme tout reportage - à l’horizon d’attente d’un public, mais un public encore imprégné de romans de chevalerie, de légendes et de « merveilles ». L’ouvrage se présente alors comme un texte littéraire pour des lecteurs cultivés qui réclament à la fois divertissement et instruction sur une Eurasie fantasmée depuis Alexandre le Grand, où se côtoient, s’affrontent et échangent religions, cultures, civilisations reliées par des routes commerciales millénaires et d’où surgit, à la fin des croisades un peuple nouveau et inquiétant, les Mongols. En faisant de ces derniers le sujet principal du livre, Le devisement du monde rompt avec les géographies légendaires du monde ancien et annonce celle des premiers explorateurs et colonisateurs modernes du nouveau monde, et son auteur, autant qu’acteur d’une aventure personnelle, est un voyageur à la fois tributaire et critique des représentations de son temps.