Conférence animée par Marc Gindre
Votre ordinateur met-il trop de temps à s’allumer ? Le temps consacré à attendre à la caisse du supermarché ou dans la salle d’attente du cabinet médical est-il pour vous un temps « perdu » ? Vous arrive t-il de faire plusieurs choses à la fois ? Avez-vous le sentiment de courir sans cesse après l’aiguille d’une montre qui avance toujours trop vite ? Rêvez-vous parfois d’échouer sur une île déserte ou bien d’une retraite loin du bruit du monde ?
Oui ? Rassurez-vous ! Vous n’êtes pas seul ! Personne n’échappe à « l’accélération » du rythme de vie, à l’immixtion de l’urgence dans tous les domaines de nos vies.
Cette « dictature de l’urgence » produit des souffrances individuelles et collectives que personne ne conteste. Il faudrait donc « ralentir »…
Mais pouvons-nous échapper à cet esclavage moderne, à ces formes d’aliénation qui conduisent à de multiples impasses, contradictions et à des souffrances souvent cachées ? Si oui, comment ? A quel prix ? Qu’attendons-nous pour le faire ? Pourquoi beaucoup n’éprouvent-ils pas ce besoin de « ralentir » ? Et si pour être davantage heureux, il ne fallait pas forcément « ralentir » ?
À propos du mot « urgence »
Urgence vient du latin « urgere » qui désigne deux choses :
- Au sens premier, « urgere » signifie « presser » au sens de « pousser en avant », de « peser sur », « enfoncer » (un objet).
S’adressant à des personnes, il signifie « accabler » au sens de « faire peser une tâche ou un fardeau sur quelqu’un ».
- La deuxième acceptation domine aujourd’hui très nettement le sens initial, sous deux formes : l’adjectif « urgent » qui désigne « ce dont on doit s’occuper sans retard ».
Le nom commun « urgence » n’apparaît qu’en 1752 et reste confiné longtemps dans le monde médical : est urgent ce qui menace la vie et nécessite une réaction immédiate.
Depuis une trentaine d’années, la notion d’urgence a envahi la totalité du champ social et politique, et n’est plus cantonnée au monde de la médecine et des secouristes (même si la figure de l’urgentiste a pris une dimension quasi démiurgique, comme en témoigne le succès de certaines séries).
Les attentats récents en France ont contribué à étendre son usage dans le cadre des politiques publiques de sécurité : « l’état d’urgence » est sensé répondre à un besoin « nouveau » de sécurité (au détriment de nos libertés, selon ses opposants).
L’urgence dont on parlera ici est définie comme la conjonction de deux phénomènes :
- le culte de la vitesse : aller vite, dans tous les aspects de la vie
- le culte de l’instant (appelé parfois « présentisme ») : vouloir tout, tout de suite
Pour celles et ceux qui voudraient aller plus loin :
BRAND Stewart, L’Horloge du Long Maintenant. L’ordinateur le plus lent du monde, Tristram, 2012, 210 pages
Dans cet essai stimulant, clair et incisif, l’auteur livre le dossier complet d’une aventure collective hors norme : construire l’ordinateur le plus lent du monde…
FINCHELSTEIN Gilles, La dictature de l’urgence, Fayard/Pluriel, 2013, Paris, 223 pages.
Une lecture facile d’accès et très intéressante.
AUBERT Nicole, Le culte de l’urgence, la société malade du temps, 2010.
Existe aujourd’hui en poche – Une lecture facile – Beaucoup d’illustrations dans le monde du travail.
ROSA Harmut, Accélération, une critique sociale du temps, La Découverte, 2013, 413 p.
Un « monument » incontournable. Une lecture parfois exigeante, mais très stimulante.
ROSA Harmut, Résonance- Une sociologie de la relation au monde, La Découverte, sept. 2018, 544 pages, 28 €
Si l’accélération constitue le problème central de notre temps et est à l’origine de multiples souffrances, la résonance peut être la solution, selon l’auteur. Il a l’immense mérite de rompre radicalement avec l’idée que seules les ressources matérielles (gagner beaucoup d’argent, posséder beaucoup de biens), symboliques (être connu et reconnu, avoir des diplômes rares, une profession admirée) ou psychiques (faculté de résilience- capacité à « prendre la vie du bon côté »…) suffisent à accéder au bonheur. La qualité d’une vie humaine dépend,selon lui, de notre rapport au monde, pour peu qu’il permette une résonance. ?Un renouvellement étonnant et magistral des approches critiques de nos sociétés.
GRAEBER David, Bullshit Jobs – Les liens qui libèrent, 2018
L’auteur, considéré comme l’un des penseurs les plus importants de ce début de siècle postule ici que la société moderne repose sur l’aliénation de la vaste majorité des travailleurs de bureau qui sont amenés à dédier leur vie à des tâches inutiles et sans réel intérêt, tout en ayant pleinement conscience de la superficialité de leur contribution à la société. ?Un ouvrage décapant !