Cette injonction prend des manifestations multiples et sournoises. Il s’agit bien d’une injonction au sens où la recherche du bonheur – bien souvent réduit au plaisir, à la satisfaction individuelle, ce qui est pour le moins réducteur – est complètement intériorisée, admise comme étant un objectif de vie, objectif prioritaire et à tous les âges. Cette injonction est intimement liée à l’évolution du capitalisme. Pourquoi ? Le capitalisme est en train de trouver dans le marché des émotions, un nouvel eldorado (ou une nouvelle bouée de sauvetage ?). La transformation des loisirs comme autant d’occasions de vivre des « expériences » fortes, le changement de notre rapport à la nourriture (manger non pas pour se nourrir mais pour vivre des moments agréables) en sont des symboles. Cette injonction au bonheur est en partie responsable de cette tyrannie de l’urgence, parce qu’il n’y a pas de temps à perdre pour être heureux. Ce qui nous place dans cette contradiction folle : il y a urgence à nous préoccuper de l’avenir de la planète, de celui de nos enfants et petits-enfants, mais nous avons d’autres urgences plus urgentes et plus égoïstes, celui de notre bonheur immédiat, urgences qui condamnent l’humanité aux pires souffrances demain… Et cette injonction au bonheur est à l’origine de certaines souffrances psychologiques et d’évolutions qui interrogent dans les sociétés comme la nôtre : instabilité des couples - dépression – peur de l’insignifiance – recherche effrénée de la reconnaissance sur les réseaux sociaux – engouement pour des activités à risques – culte du corps – difficultés d’accepter l’aléa, le hasard – agressivité dans les interactions sociales… On pourrait même tenter de relier ces souffrances à la montée des populismes (celui-ci donnant des explications simplistes à l’impossibilité d’être heureux tout de suite).
La Bergerie Place du Passage à l’An 2000. Participation au chapeau