Dans l’histoire du goût s’est produite une mystérieuse révolution : elle a lieu, en France, au XVII° s. Alors que les siècles précédents raffolaient des épices orientales, les cuisiniers et les gourmets ne tolèrent plus que certaines d’entre elles, et en blâment l’usage « excessif ». Comment comprendre ce dégoût soudain ? La faveur dont jouissaient au Moyen Âge les épices du Levant paraît liée à un imaginaire complexe, où se superposaient idées diététiques, souci de «distinction» sociale, et rêveries attachées à l’Orient fabuleux d’où l’on importait ces précieuses substances. Elles restituaient à l’homme médiéval un petit quelque chose du paradis perdu. Le délaissement des épices, dans la France de Louis XIV, correspond à une mutation de cet imaginaire, qu’il faut sans doute expliquer par la construction, depuis le XVIe s., d’un espace politique unifié et centralisé qui prétend à l’excellence. Le paradis n’est plus ailleurs, ni dans l’au-delà, c’est ici et maintenant ! C’est le Jardin français illuminé par le Roi Soleil ! Notre épice françoise ? Le persil ! Ainsi donc commence notre gastronomie : en boudant les épices ! La Révolution de 1789 ne change rien à cette alliance secrète entre l’ordre gastronomique et culinaire d’une part, et l’ordre politique, moral et esthétique d’autre part. Les épices en feront les frais jusque vers la fin du XXe s. Elles semblent aujourd’hui rentrées en grâce. Jusqu’à quel point ?
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